Nouveauté 2023 (7) : Muncaster

Dans ce court roman, on suit l’intervention d’un cordiste, Joe Clarke, sur la réfection d’une cathédrale. Et « pour un cordiste, une cathédrale est l’équivalent de la stalle du chanoine pour un vicaire » : une véritable consécration. Même si cela implique de grimper tout en haut d’un édifice dont les gargouilles sont super flippantes (c’est comme flippantes, mais avec une cape). Je ne t’en dis pas plus pour ne pas gâcher ta lecture, mais si tu aimes bien les ambiances un peu gothiques, le pragmatisme ouvrier et les bouquins qui se lisent d’une traite (pas de découpage en chapitres dans celui-ci), fonce ! Et si tu n’aimes rien de tout ça, fonce quand même, tu n’es pas à l’abri de changer d’avis !

Note du traducteur

Outre les recherches indispensables dans ce genre d’ouvrage (je n’étais pas super familier de l’univers des « steeplejacks » (réparateurs de hautes cheminées et de clochers, selon le Robert&Collins), j’ai donc dû me former viteuf sur le sujet), s’est posée la sempiternelle (ou au moins l’éternelle) question du registre : quand le récit est à la première personne avec un peu d’argot et un niveau de langue assez relâché, comment rendre ça en français sans tomber dans l’excès ? Où placer le curseur ? Lorsque les erreurs de langue sont minimes (mais volontaires) en anglais, comment les rendre en français ? Quid du dialecte ? J’ai par exemple hésité sur le bout de phrase : « I mind the day I first heard about… » L’expression, quoique correcte, relève du régionalisme. J’ai hésité à retranscrire ça « Je me rappelle DU jour où… », pour insister sur l’oralité du texte, puisque c’est une faute couramment commise en français. Les lecteurs qui ignorent qu’on se rappelle quelque chose mais qu’on se souvient DE quelque chose n’auraient pas remarqué cette erreur en français. Et parmi ceux qui connaissent la règle et l’appliquent, et qui sont assez vigilants lors de leur lecture pour s’en rendre compte, combien auraient compris que l’emploi du DU était volontaire ? J’ai donc plutôt opté pour « Je me SOUVIENS du jour où », quitte à sacrifier le côté dialectal (et à mieux rendre l’oralité plus tard, à des endroits pas forcément flagrants en VO).

L’autre question qui revient très souvent est celle du temps. Et en l’occurrence, autant le passé simple aurait été envisageable si le texte s’était déroulé dans un passé lointain (cf l’anecdote ci-dessous), autant il n’était pas du tout possible dans ce contexte. Le présent aurait permis une forme d’immédiateté, mais il posait trop de problèmes de logique, car il est clair d’emblée que le narrateur nous raconte des événements passés. Le passé composé s’est donc assez vite imposé à moi (je crois que c’est la première fois que je l’emploie comme temps principal dans une trad, à vérifier). Je suis habituellement assez réticent parce que j’ai une sorte de phobie des répétitions, et que tous ces auxiliaires qui se ressemblent ça me fait peur, mais je m’en suis finalement très vite accommodé, et je ne regrette absolument pas mon choix à la relecture.

Pour l’anecdote

Pour une raison qui m’échappe encore, j’ai longtemps cru que le récit se déroulait dans un lointain passé, en tout cas avant le XXe siècle. Ce n’est qu’au fil de ma lecture que je me suis rendu compte qu’il était contemporain de son auteur et qu’on était donc dans les années 1990, ce qui a considérablement changé ma vision du roman et donc la manière de le traduire. C’est fou comme une phrase peut avoir deux teintes différentes selon qu’elle est prononcée à telle ou telle époque.

Robert Westall, Muncaster (The Stones of Muncaster Cathedral), Les Éditions du Typhon (coll. Les hallucinés), en librairie le 7 novembre 2023.

Couverture Tristan Bonnemain

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