Des lectures (en retard)

Pendant une longue période, j’ai complètement cessé de lire. Ça me rappelait trop le boulot, que ce soit en anglais ou en français, et je n’y arrivais plus. Et puis l’envie m’est revenue quand je me suis remis à varier les plaisirs : pour une raison qui m’échappe aujourd’hui, je ne lisais que CE QU’IL FAUT AVOIR LU, injonction d’autant plus ridicule qu’elle fait perdre le goût de la lecture à nombre de collégiens ou de lycéens. Et comme tout me tombait des mains (pas parce que ce n’est pas bon, mais parce que je n’avais pas envie de ça), j’ai cessé de lire pendant quelques années. Puis, du jour au lendemain, je me suis remis à faire ce que j’avais toujours fait avant de travailler dans le milieu : lire ce qui me tombe sous la main, parce que la couverture me plaît, parce que le titre est rigolo, parce que j’étais beaucoup trop jeune à l’époque où on me l’a imposé, parce que le sujet me parle, parce que l’auteur a un nom sympa (jamais pour la 4e de couverture, j’abhorre les 4e de couverture, tantôt spoiler en puissance, tantôt preuve éhontée que l’éditeur n’a pas lu le bouquin qu’il publie, souvent sans rapport aucun avec le style de l’écrivain ; je le dis d’autant plus volontiers que j’en ai rédigé des dizaines et que je ne m’exonère pas de tous les défauts susmentionnés, ayant commis moi-même tous ces crimes de lèse-découverte ; la 4e de couverture est au bouquin ce que la liste des ingrédients est au produit industriel : elle est censée vous éclairer sur ce que vous allez déguster, mais elle vous coupe souvent l’appétit. Et puis je déteste les noms dont on ne sait s’ils sont masculins ou féminins, et qui ont parfois été l’un avant que l’usage adopte l’autre, ou qui coexistent sans qu’on comprenne trop pourquoi – clope, parka, oasis, Dominique, quatrième de couverture ; ce n’est pas pour rien s’il figure dans la célèbre liste des cinq. En revanche, j’aime beaucoup les parenthèses, comme vous l’aurez constaté. (Je suis d’ailleurs en train de lire Le Chameau sauvage, de Philippe Jaenada, et j’aime beaucoup la manière dont il digresse, tergiverse et parenthèse sans cesse.)).

Je ne vais pas du tout parler de ça, mais il y a d’autres substantifs encore plus rigolos que la liste des cinq.

Bref, je m’égare (au gorille). Tout ça pour dire qu’après avoir été gros lecteur, puis tout petit lecteur, je suis redevenu assez gros lecteur, même si le temps me manque. Or, chacune de mes lectures a une influence sur mon travail : je repère toujours des tics/maladresses que je ne souhaite pas répéter, du vocabulaire que j’ignore ou auquel je ne pense pas spontanément, des astuces de traduction que je pique volontiers à des confrères et sœurs… Du coup il n’est pas complètement incongru d’en discuter sur ce site (d’autant que de toute façon je fais ce que je veux). Je n’irai pas pour autant parler de tout ce que j’ai lu, soit parce que je n’aime pas dire du mal (c’est faux, j’adore ça), soit parce que je n’ai pas envie de perdre du temps à causer de trucs qui ne m’ont pas intéressé. Note que ça peut m’arriver plus tard, tu ne m’en tiendras pas rigueur (et oui, je suis passé au tutoiement ; je te l’ai dit, je fais ce que je veux. Encore un cas particulier à retrouver ici.). Or donc, voici ce que j’ai lu (et aimé) tout récemment.

Cédric Sire, Vindicta, Harper Collins Poche

Tout commence par un braquage relativement banal et mal ficelé, le genre de truc qui ne peut tellement pas mal tourner que c’est couru d’avance que ça va foirer. Un bon flic aux méthodes discutables va se retrouver mêlé à l’enquête presque malgré lui, à l’écart de la procédure officielle que l’on suivra également, le tout entrecoupé d’intrigantes scènes d’assassinats. Une multiplicité de points de vue, donc, sans qu’on s’y égare ou qu’on peine à raccrocher les wagons, grâce au rythme quasi cinématographique qui nous porte d’une page à l’autre. Les chapitres sont courts et efficaces, tranchants, comme le style (à l’exception de quelques scènes que je trouve un peu gratos, et qui rappellent que l’auteur s’est d’abord taillé une réputation dans un registre plus horrifique, avant d’inverser nom et prénom). Je me suis laissé emporter sur ces presque 800 pages sans essayer de deviner le fin mot de l’histoire – signe que le roman est haletant, on n’a pas trop le temps de réfléchir -, et me suis donc laissé surprendre par presque tous les rebondissements – dont un m’a particulièrement scotché. Quelques semaines plus tard, je n’ai déjà plus tout en mémoire, ce qui est un peu le revers de la médaille quand on dévore au lieu de lire ; d’un autre côté, cela me permettra sans doute de le relire à l’occasion.

Stefan Wul, Niourk, Folio Junior

J’ai relu ce bouquin d’à peine 200 pages, retrouvé d’occasion dans la même édition que celle que j’avais découverte alors que j’avais une dizaine d’années, parce que je voulais le faire découvrir à mon fils, sans être certain qu’il ait l’âge et la maturité nécessaires (verdict : on va attendre quelques années). Je gardais un excellent souvenir de mon « premier roman de SF », madeleine délicieuse m’ayant renvoyé sur la terrasse ensoleillée de ma maison d’enfance. J’ai aussi pris beaucoup de plaisir à comparer mes réponses d’aujourd’hui à celles que j’avais entourées à l’époque sur les petits tests disponibles à la fin du livre, « un supplément ludique et enrichissant » comportant l’illustre avantage d’être présenté tête-bêche (et donc de piquer la place de la 4e honnie) – avant de me rappeler que j’avais déniché cette version dans une bouquinerie, et qu’à moins d’un hasard improbable ce n’était pas le petit moi qui avait répondu aux questionnaires. Nonobstant, j’ai beaucoup aimé cette relecture (même si le texte a vieilli à certains égards), et je me suis rendu compte que le souvenir que j’en gardais n’était absolument pas fidèle à la réalité. D’ailleurs, comme lorsque j’ai relu Les 3 Mousquetaires, je me suis demandé ce que j’avais bien pu y comprendre si jeune : même si le vocabulaire n’est pas particulièrement ardu, le texte comporte un certain nombre de concepts assez difficiles à appréhender, en plus de quelques notions indispensables de base (en géographie, notamment) que je ne connaissais probablement pas à l’époque. Un récit d’apprentissage qui interroge sur l’avenir de l’humanité et aborde certaines problématiques chères à la SF qui ne se démodent pas (même si on n’en fait pas la même lecture aujourd’hui qu’à la fin du 20e siècle) : écologie, génétique, différences (de genre, d’apparence…), questions existentielles (les dieux, la mort, l’éternité). J’ai quand même hâte de le lui faire lire.

TJ Klune, La Maison au milieu de la mer céruléenne, De Saxus. Trad. Cécile Tasson

L’étiquette YA, Young Adults, jeunes adultes, est toujours difficile à préciser. S’adresse-t-elle aux ados, aux jeunes (mais bons) lecteurs, aux adultes qui aiment les lectures « faciles »… ? La définition varie au sein d’une même maison d’édition, parfois d’une même collection, d’un même rayon en librairie. Cet ouvrage se situe pile dans cette catégorie indéfinissable. La preuve, je n’ai pas trop su quoi en penser. La thématique est ultra intéressante : un fonctionnaire, chargé de visiter des orphelinats pour s’assurer que les conditions de vie et d’éducation des enfants sont dignes, va se voir confier la mission d’établir un rapport sur les habitants d’une maison perdue au milieu de nulle part. Je ne les dépeindrai pas ici pour ne rien divulgâcher, mais, pour ceux que ça intéresse, leurs portraits sont affichés au verso de la jaquette sur l’édition collector proposée par De Saxus (peut-être au dos des autres éditions aussi, mais je n’en ai pas sous la main pour vérifier). Disons que tous sont anormaux au sens étymologique du terme : complètement hors de toutes les normes (on est dans la créature magique, quoi). Tous sont attachants, les relations nouées entre eux (ou dénouées avec les gens du village voisin) intéressantes, les amours diverses et inclusives, chaque personnage est consistant, l’intrigue plaisante, l’humour présent. Pourtant, je me suis un peu forcé à le finir, parce que sans être manichéen, tout était trop… facile ? lisse ? consensuel ? Je ne sais pas trop. Disons que j’aurais aimé lire ce livre à une autre époque, à un autre âge. Ou peut-être qu’il correspond paradoxalement trop à ce en quoi je crois pour que je m’y retrouve, que j’aurais préféré être en désaccord avec l’auteur pour avoir matière à réflexion et effectuer mon cheminement mental ? Bref, c’est un bouquin que je recommande volontiers, mais que j’aurais aimé aimer davantage.

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