Septième parution de l’année avec ce cinquième tome d’une série dont chaque livre peut se lire indépendamment (plus ou moins, parce qu’on suit malgré tout l’évolution des personnages sur l’ensemble, mais disons que chaque intrigue se tient seule). Si tu as bien suivi, ce n’est que le deuxième de la série que je traduis, le premier étant évoqué par ici.
Ce cosy-crime (j’ai décidé de lancer en français l’expression « enquête en pantoufles » ; pour l’instant, ça ne prend pas, mais je compte sur toi pour m’y aider) se déroule à Oxford et alentour dans les années 1960, on retrouve donc un côté très anglais et volontairement daté.
Comment rendre le côté so British ?
Contrairement à ce que le nom de ce blog peut laisser croire, je n’aime pas du tout les notes du traducteur, que je trouve souvent inutilement explicatives et sans grand intérêt (comment ça, « comme ce site » ?). Cependant, pour ne pas perdre tout le sel de la série, j’ai parfois dû me résoudre à en rédiger.
Mon rôle ne consiste pas à faire un exposé ni à mâcher le travail au lecteur, mais à retranscrire le plus fidèlement possible les propos de l’autrice. Si l’absence d’une note nuit à la compréhension du texte alors que le passage est fluide en anglais, il m’incombe d’y remédier ; si l’absence de note ne renseigne pas le lecteur francophone sur un point que le lecteur anglophone risque de ne pas connaître non plus, alors rien ne l’empêche de faire les recherches s’il le souhaite, mais je ne m’en mêle pas.
En d’autres termes, si mon texte se déroule en Angleterre et qu’on y célèbre une fête particulière à telle date (c’est le cas ici), je mets une note pour renseigner le lecteur non anglais (il pourrait d’ailleurs tout à fait y avoir une note de l’éditeur dans la version américaine du texte). Si mon texte se déroule dans un laboratoire de recherches du Sussex et qu’on emploie un vocabulaire scientifique imbitable pour le commun des mortels (ce n’est pas le cas ici), c’est à l’autrice qu’il appartient de décider si son lecteur doit ou non bénéficier d’un éclairage – en ce cas, je traduirai évidemment les passages concernés, ainsi que les N.d.A. si elles existent, mais je n’en ajouterai pas de mon cru.
Volontairement daté, mais moderne
Mine de rien, des questions aussi graves que l’égalité entre les personnes ou les violences faites aux femmes sont traitées dans ces ouvrages, toujours avec le décalage lié à l’époque. Une protagoniste assez jeune et progressiste (pas trop non plus, on est au début des années 1960) et un agent de l’État d’un certain âge particulièrement ouvert d’esprit permettent de rendre ces problématiques très actuelles. Ainsi, en suivant les enquêtes par le prisme de Trudy, les lecteurs sont parfaitement au fait de ses grandes qualités et ne peuvent que compatir lorsqu’ils subissent avec elle les discriminations liées à son âge et à son genre.
Parfois, les démonstrations se font aussi par l’absurde et nous poussent à nous demander « Mais ça se passait réellement comme ça il y a soixante ans ? » (la réponse est évidemment oui, et c’est encore souvent le cas, même si c’est moins assumé). Le décalage temporel (et contextuel) permet aussi de ne pas rendre le propos moralisateur et de conserver un ton léger malgré tout.
Les difficultés rencontrées
Ce genre de texte ne contient pas de grandes difficultés de traduction, que ce soit dans le style ou le vocabulaire. L’époque aura malgré tout un impact sur un certain nombre de choix. Par exemple, le vouvoiement sera beaucoup plus fréquent que dans un texte se déroulant en 2020. Mais quand un jeune agent rencontre sa collègue du même âge (qu’il tutoie habituellement), qu’elle fait semblant de ne pas le connaître parce que des oreilles traînent, puis que les indiscrets disparaissent et qu’ils se détendent l’un et l’autre, on peut rapidement avoir l’impression d’une incohérence quand il lui dit d’abord vous (au lieu du tu habituel), puis tu, dans le même bout de dialogue (c’est toujours ma hantise). On peut parfois gruger en jouant au « ni tu ni vous », mais cela peut rendre l’échange maladroit ou superficiel.
Par ailleurs, certains usages ont évolué avec le temps, je m’inspire donc parfois du vocabulaire qu’employaient mes grands-parents pour mieux coller à l’époque (malle au lieu de coffre, auto au lieu de voiture, chandail au lieu de pull, etc.), ou utilise des expressions désuètes dont je ne me sers pas au quotidien, ou pas sans intention comique ou autre (« pas piqué des hannetons », par exemple). Attention, je ne prétends pas que si tu ranges ton chandail pas piqué des hannetons dans la malle de ton auto tu es forcément né au début du siècle dernier, il y a peut-être une autre explication. (Je te saurai alors gré de me la donner, je suis très curieux.)
Il faut aussi veiller aux anachronismes : sans rien divulgâcher, l’un des personnages est victime d’une overdose. Or, ce terme n’est apparemment entré dans le Robert qu’en 1968. Pourtant, on l’emploi aujourd’hui plus volontiers que surdose, que j’ai malgré tout préféré, car le texte se déroule en 1962.
Tous ces choix sont évidemment et éminemment discutables (la zone des commentaires est là pour ça, d’ailleurs), ce qui explique que deux traductions d’un même texte puissent être si différentes alors même qu’elles sont l’une et l’autre parfaitement correctes.
Mais de quoi ça cause ?
Trudy Loveday est une jeune policière (elle n’est même que stagiaire dans les premiers bouquins) qui peine à se faire respecter de sa hiérarchie. Clement Ryder est un ancien chirurgien reconverti coroner depuis qu’il s’est autodiagnostiqué la maladie de Parkinson, ce qui l’empêche d’exercer sa profession d’origine dans des conditions normales. Le hasard des circonstances va les réunir pour enquêter sur des affaires (pas toujours des crimes à première vue) comportant quelques parts d’ombre.
En l’occurrence, c’est une jeune femme que l’on retrouve assassinée et ligotée au cœur d’un village (ce qui écarte a priori la thèse de l’accident), mais dont le petit ami est retrouvé pendu peu après. S’est-il suicidé, pris de remords, après l’avoir tuée ? ou parce qu’il ne se voyait pas vivre sans elle ? C’est ce que notre cher binôme va tenter d’élucider, car le père du défunt, un ponte de la police, risque de voir sa propre carrière gâchée si son fils n’est pas blanchi post mortem.
Si tu cherches simplement un polar en pantoufles pour te distraire, celui-ci est bien ficelé et devrait te satisfaire. Cependant, si tu veux t’attacher aux personnages, je ne saurais trop de conseiller de lire les bouquins dans l’ordre, car l’évolution (de la carrière de l’une, de la maladie de l’autre, et de leur relation presque filiale) est importante. Je trouve d’ailleurs celle de Ryder assez juste et touchante, parce que Parkinson is a bitch (excuse my French). Je le redis néanmoins : tu peux les bouquiner dans le désordre sans culpabiliser.

Faith Martin, A Fatal Affair (Couronnement fatal à Middle Fenton), Harper Collins, 02/11/2022
les explications sont très « éclairantes »! j’adore « l’enquête en pantoufles », à réutiliser ..
merci pour votre commentaire !
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Et merci de l’avoir lu ! À bientôt !
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