Nouveauté 2023 (5) : Cœur de sorcière

Mais de quoi ça cause ?

Genevieve Gornichec s’est ici attelée à réécrire les grandes lignes de la mythologie nordique, en se centrant sur Angrboda, sorcière de son état, connue sous diverses identités. Associer une même héroïne à plusieurs personnages issus de divers récits lui a ainsi permis de reconstituer une partie de l’histoire des neuf mondes des légendes dites « vikings ». Le gros avantage est que cela permet, en un seul roman, de présenter bon nombre de divinités, de races, d’objets et de lieux dont on a bien souvent entendu parler sans toujours savoir de quoi/qui il s’agit. On découvre, en vrac, Odin, Loki, Thor, Hel, Asgard, Yggdrasil, des Géants, des pouvoirs, des magies, des royaumes… et on en ressort avec l’impression d’avoir appris ou révisé plein de choses, tout en ayant passé un très bon moment de lecture.

Pour l’anecdote

Curieusement, j’ai pour une fois très vite réglé la question des tutoiements et vouvoiements : il m’a semblé, dans la manière dont l’histoire se déroule et dont les personnages interagissent, que tous étaient plus ou moins sur un pied d’égalité. On a certes Odin, sorte de Jupiter local, qui est censé dominer tous les autres, mais on ne perçoit pas de déférence particulière à son égard. Ni de mépris particulier envers les non-dieux, par exemple. Et tous sont plus ou moins liés par un lien familial, tous se connaissent depuis des millénaires, tous se sont déjà croisés à un moment ou à un autre de leur existence ou de la précédente… Ainsi, j’ai tout passé au « tu », ce qui m’a considérablement simplifié la tâche, au grand désarroi des amateurs de tableaux. Même mon lexique ne comportait qu’une petite vingtaine d’entrées, la plupart du temps identiques à la VO.

Non, étrangement, la plus grosse difficulté a été pour moi l’absence de chapitres : l’autrice a choisi de diviser son roman en trois parties de tailles très inégales, ce qui se justifie tout à fait du point de vue de l’histoire, mais m’a privé de mon petit rythme routinier ! J’ai l’habitude de me fixer pour objectif quotidien un certain nombre de signes, et de m’arrêter à la fin du chapitre une fois cette quantité atteinte. En l’occurrence, j’ai dû me rabattre sur les sauts de ligne occasionnels, qui ne me permettaient pas de visualiser dès le matin le chemin à parcourir.

Moi qui ne suis absolument pas fan de cyclisme, je considère pourtant mes journées comme des étapes de Tour ou des contre-la-montre (en fonction de la difficulté et de l’urgence) : j’ai une distance à parcourir en un temps imparti si je ne veux pas me faire rattraper par la voiture-balai, et c’est là le strict minimum. Si je ne suis pas très en forme et que je veux y aller tranquille, je reste dans le peloton et je fais mon parcours pépère ; si je suis emporté par le texte (ou pris par les délais), je vais y aller à bloc pour prendre de l’avance sur mes poursuivants (en l’occurrence, la deadline) ; et si je suis bien reposé et particulièrement motivé, je tente une échappée dès le matin, avec le risque de m’essouffler en cours de route et de ne pas tenir le rythme. Il y a même des affaires de triche, mon dopage à moi, quand une insomnie me fait tomber du lit et me pousse à prendre la route avant l’heure du départ, grappillant alors de précieuses secondes (ou de précieux milliers de signes) sur la concurrence (toujours la deadline). Sur ce texte, j’ai donc un peu eu l’impression de faire un Tour de France où on m’aurait dit : « Tu pars d’ici tel jour, tu dois arriver là tel jour, débrouille-toi pour le parcours. » Et c’est bizarrement plus fatigant que d’avoir ses points d’étape tous les soirs.

Je ne sais pas si ceci est une conséquence de cela, mais j’ai pris beaucoup plus de plaisir à la relecture qu’à la traduction, ce qui m’arrive rarement. Peut-être aussi parce que j’ai eu le temps de bien oublier le texte avant de le relire, ce qui n’est pas si fréquent.

En conclusion

Si tu es fan des films Thor ou de la série Vikings, j’imagine que ce roman pourrait te plaire, mais je n’en ai aucune certitude, car je n’ai rien vu de tout ça ! Personnellement, j’étais en tout cas très heureux de découvrir cette mythologie que je connaissais fort mal. Le traitement m’a de plus rappelé ce que je sais des sagas islandaises, et j’ai une affection particulière pour ces ambiances, ces paysages ou ces mentalités (je trouve les dieux nordiques beaucoup plus rigolos que les gréco-romains).

Cerise sur le Jordgubbstårta pour les amateurs de l’objet-livre : la version collector offre un superbe jaspage et une reliure magnifique du plus bel effet, en plus du vernis sélectif de la jaquette qui reprend la couverture du broché (à rabats).

Genevieve Gornichec, Cœur de sorcière (Witch’s Heart), Sabran, 4/5/2023.

« T’abuses, t’aurais pu faire un effort sur le détourage ! » D’ailleurs, la couv est d’Adam Auerbach, la conception graphique française de Volodymyr Feshchuk.

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