Comme l’année touche à sa fin et que, c’est officiel, je ne traduirai plus jusqu’à la Saint-Sylvestre (il me reste cependant près d’1,5 million de signes à relire, je ne suis donc pas pour ainsi dire en vacances), l’heure n’est plutôt pas trop mal choisie pour tirer un bilan de cette année 2021. Et comme je suis un ancien matheux reconverti en littéraire, je m’en vais t’abreuver de chiffres.
Les publications
J’ai eu le bonheur de voir atterrir sur les rayons des librairies 9 ouvrages traduits ou co-traduits par mes soins cette année (je ne parle que des premières publications en grand format), ce qui est à peu près équivalent à 2020 (8), moins qu’en 2019 (11), mais beaucoup plus qu’en 2018 (4). Le jeu des offices et des calendriers y est pour beaucoup, et une partie de mes non sorties de 2018 a simplement glissé en 2019, on reste sur une moyenne de 8 par an.

Les 9 de l’année sont répartis sur 7 éditeurs, par ordre chronologique PKJ, De Saxus (2x), J’ai lu (2x), Pygmalion, Bayard, SNAG et Typhon.
On trouve 8 auteurs différents : Maggie Harcourt, Samantha Shannon (x2), Pittacus Lore, Torey Hayden, Seanan McGuire, Christopher Paolini, Colleen Oakes, Harry Kressing.
6 de ces ouvrages appartiennent à des séries : The Bone Season tomes 2 et 3 sur 7, Generation One tome 3 (série terminée), Les Enfants indociles tome 1 sur ?, Idéalis tome 2 sur 2, Queen of Hearts, tome 1 sur 3.
En voici la liste complète :
Drama ! de Maggie Harcourt, PKJ
Hope est une « fille de » qui rêve de percer dans le théâtre (le terrain de jeux de sa mère), mais qui ambitionne surtout d’y parvenir par elle-même, et non pour son nom. Son choix de carrière (la régie, pas le devant de la scène) fait écho à sa volonté de s’effacer et de s’affirmer par son travail et son talent, pas grâce à son charisme ou sa prestance. Il est en creux facile d’étendre la réflexion à d’autres maux adolescents (et pas que), et il n’est heureusement pas nécessaire d’avoir des parents célèbres pour comprendre ce que Hope traverse, la pression qu’elle a déjà sur ses épaules à son âge, sa difficulté à faire part à des adultes de choses qui lui semblent évidentes. L’autrice souligne aussi le fait qu’une ado peut se révéler bien plus mature et responsable qu’un adulte parvenu et imbuvable (en l’espèce une star de cinéma cherchant à s’acheter une crédibilité en montant sur les planches). Un pont intéressant entre les générations. Fait amusant : j’ai découvert à la publication que la couv avait été réalisée par mon très bon ami Flamidon, graphiste de talent.

L’Ordre des mimes et Le Chant se lève, de Samantha Shannon, de Saxus
Pour ne rien divulgâcher, je me contenterai de dire que l’histoire se déroule essentiellement à Londres dans les années 2050, qu’on est à cheval entre de la dystopie et du fantastique, et que c’est une grosse tuerie. L’autrice est aussi celle du Prieuré de l’oranger, mais les seuls points communs entre ces deux univers sont leur grande qualité et l’épaisseur des bouquins, ce qui permet de donner une grande profondeur à tous les personnages, primaires comme secondaires. Le tome 1 a déjà 8 ou 9 ans (j’avais eu le plaisir de le traduire pour J’ai lu à l’époque), le 4 est sorti cette année en VO (et sera dispo dès l’année prochaine en VF), les autres sortiront sans doute avant la fin du Trône de fer. Les droits d’adaptation ont été préemptés, le passage à l’écran va être très chaud, mais si ça se concrétise ça pourrait être très, très chouette. J’en dis un peu plus ici.


Retour à Zéro de Pittacus Lore (alias James Frey), J’ai lu
Il s’agit de la trilogie spin-off de Numéro 4 (une série au long cours publiée chez Baam ! à l’époque et traduite par Marie de Prémonville). Dans la série mère, une race extraterrestre (les Loriens) s’était réfugiée sur Terre après qu’une seconde espèce (les Mogadoriens) avait fait péter sa planète. Les Mogs débarquaient donc chez nous pour finir le boulot, mais un sort les empêchait de tuer leurs cibles dans le désordre. On suivait donc les péripéties du 4e survivant, qui, comme tous ses petits camarades, développait des Dons (télékinésie pour tout le monde, mais facultés plus incroyables les unes que les autres – invisibilité, antigravité, vitesse ou force surhumaine… – distribuées au hasard).
Dans la série fille, quelques humains ont hérité de Dons, et c’est leurs aventures qu’on va suivre (avec une poignée de Loriens en guest stars et des Mogs en villains). Je ne suis pas fan des films de super héros, mais j’ai bien aimé cette série pour ados, assez prenante et bien fichue. J’aurais volontiers signé pour quelques tomes de plus, mais même les meilleures choses ont une fin ! J’en dis un peu plus ici.

L’enfant qui ne savait pas dire la vérité de Torey Hayden, J’ai lu
Torey Hayden est une éminente pédopsychologue qui raconte ses consultations à la manière de romans (noirs). Dans ce bouquin, on va faire la connaissance de Jessie, une petite gamine de 9 ans baladée de foyer en foyer parce qu’aucune famille d’accueil ne parvient à la garder. Ses parents sont pourtant vivants, mais elle est ingérable et dangereuse (pour elle comme pour les autres). On va se rendre compte de la difficulté que l’autrice a eu pour percer sa carapace, faire sa connaissance, et découvrir l’humaine qui se cachait derrière le dossier. C’est poignant et cruel, on essaie nous aussi de démêler le vrai du faux, mais on sent tout du long qu’un vrai drame se cache derrière la personnalité complexe de cette fillette menteuse (l’est-elle vraiment ?). Heureusement que c’est court, parce que c’était assez éprouvant à traduire à vrai dire.

Les Enfants indociles – 1 – Les Portes perdues de Shannon McGuire, Pygmalion
Dans ce premier livre d’une série de courts romans (il y en a déjà 7 en VO), Shannon McGuire nous emmène elle aussi dans un foyer destiné aux enfants indociles, persuadés ici de n’avoir rien à faire dans ce monde. Chacun cherche sa porte, celle du pays « imaginaire » dans lequel il s’est égaré quelque temps.
Je ne saurais comment décrire ce titre sans trop en dire, mais c’est du roman fantastique, limite thriller, à la fois très court et très dense. Le talent de Seanan McGuire lui permet de bien camper son univers, ses personnages et son intrigue en moins de 200 pages, et on meurt d’envie d’y revenir au plus tôt. Ce n’est pas pour rien que ce texte a fait une razzia sur les prix (Hugo, Nebula et Locus, rien que ça).
Et même si le bouquin fait partie d’une série, j’ai l’impression qu’on pourra tous les prendre dans le désordre, il s’agit vraiment d’un univers dans lequel on va zoomer à plusieurs endroits. En tout cas, l’intrigue se tient seule de A à Z.

Idéalis – 2 – Dormir dans un océan d’étoiles, Bayard
Suite et fin du roman de Christopher Paolini, paru en deux tomes en français. Le livre étant un sacré pavé et les délais serrés (même si le covid a empêché la tournée européenne de l’auteur), nous nous sommes donc partagé la traduction avec mes éminents collègues et néanmoins amis Éric Moreau et Jean-Baptiste Bernet. J’étais un peu moins disponible qu’eux pour cette deuxième partie, je n’ai donc pas atteint mon tiers réglementaire, mais cela a grosso modo compensé le petit peu en plus que j’avais pu faire sur la première. Attention spoilers : on avait laissé Kira en plan avec son xénomorphe à la fin du tome 1, on la retrouve donc dans cette deuxième partie, toujours à la poursuite de ces sales bestioles qui en ont après l’humanité (ou l’univers tout entier). Un chouette space-op bourré de références aux œuvres cultes de la SF pour qui veut s’initier au genre, par l’auteur d’Eragon (qui était une série destinée à la jeunesse, contrairement à Idéalis). À noter des annexes intitulées « Espace-temps et voyage supraluminique » et « principes de combat spatial », qui ont donné autant de fil à retordre que de sueurs froides à leur traducteur (bravo JB !). J’en dis un peu plus ici.

Queen of Hearts de Colleen Oakes, SNAG
Dans cette trilogie qui se déroule au Pays des merveilles, on va suivre la destinée de la reine de cœur (ou plutôt de la princesse de cœur) emblématique de l’œuvre de Lewis Carroll. On retrouve une partie de la féerie d’Alice et de ses adaptations, sauf qu’on est ancré dans un monde « réel » (à ceci près que le soleil se lève à l’ouest, les fleurs dansent et les arbres murmurent), où les animaux ne parlent pas (par exemple). On retrouve ainsi certains personnages clés sous d’autres formes (les Cartes, le Lapin blanc, le chat du Cheshire) et pas mal de clins d’œil au texte d’origine (la princesse s’appelle Dinah, comme la chatte d’Alice). Ce premier tome marque l’arrivée à la cour de la demi-sœur de Dinah, Vittiore. Ça va forcément se crêper la couronne. J’en dis un peu plus ici.

Le Chef de Harry Kressing, Éditions du Typhon
Deuxième expérience pour la collection Les Hallucinés des jeunes Éditions du Typhon, et j’aime décidément beaucoup ce qu’ils produisent, du choix des textes au format des ouvrages en passant par les couvertures de Tristan Bonnemain. Deuxième auteur mort, toutefois, ce qui complique forcément les relations quand il s’agit de l’interroger sur un point ou un autre…
Dans ce conte vraiment étonnant, un chef cuisinier arrive dans un village où coexistent deux familles – celle des collines et celle des vallées – autrefois unies mais depuis séparées à cause de querelles intestines. Même si elles sont désormais en bons termes, la rivalité perdure entre elles. C’est notamment à qui proposera la meilleure cuisine, d’où l’apparition de Conrad dans le paysage… J’en dis un peu plus ici.

L’ensemble donne un panel assez éclectique (YA, fantastique, SF, document, fantasy, LG), ce qui me permet de prendre toujours autant de plaisir dans ce métier : la diversité des textes (et des embûches !) fait qu’on ne s’ennuie jamais.
Les travaux de 2021
Parmi les bouquins ci-dessus, seulement 5 ont été traduits dans l’année (Les Portes perdues, Queen of Hearts, Idéalis 2, Le Chef et The Song Rising). 5 autres ont été rendus à leur éditeur, 2 sont en phase de relecture, soit 12 romans depuis janvier quand même (dont un co-traduit).
Concernant les sorties prochaines, je ne me permettrai d’évoquer ici que celles dont les dates de parution sont déjà indiquées en ligne (tout en restant bref pour ne surtout rien divulgâcher) :
Les Enfants indociles – 2 – De brindilles et d’os, Seanan McGuire, Pygmalion, parution prévue le 16/2/2022
La « suite » des Portes perdues (je mets des guillemets car les deux textes peuvent vraiment se lire indépendamment). On découvre dans ce court roman l’univers qui se cache derrière la porte de Jacqueline et Jillian, les jumelles présentes dans le premier tome. L’histoire se déroule donc avant celle qui la précède, sans qu’il s’agisse réellement d’un préquel (ou d’une préquelle, ou d’un antépisode).

Éducation meurtrière – 1 – Leçon n° 1, Naomi Novik, Pygmalion, parution prévue le 26/01/2022
Premier tome d’une trilogie de Naomi Novik, dont j’avais déjà eu le bonheur de traduire Déracinée. On entre ici dans une école de magie sans aucun lien avec Poudlard, même s’il me semble avoir lu quelque part que NN avait à l’origine écrit ce texte comme une fan-fiction. Honnêtement, il n’y a pas grand-chose en commun (à part la magie, donc), même si le parallèle est forcément tentant. Disons que cela s’adresse à ceux qui ont acheté Harry Potter à sa sortie et qui ont un peu vieilli depuis…

Feu d’artifice mortel, Faith Martin, Harper & Collins, parution prévue le 2/2/22
Une enquête de Loveday & Ryder, la jeune policière et le coroner d’Oxford, qui en seront donc à leur cinquième aventure commune. Les livres sont relativement indépendants (disons qu’on peut sans problème lire celui-ci sans avoir lu les précédents, mais qu’on risque de se spoiler un peu en le faisant dans l’autre sens, car on fait parfois référence aux enquêtes résolues, sans toutefois dévoiler la clé du mystère). J’ai pris le relais sur cette série de « cosy crime » (on n’est pas dans le thriller haletant, plutôt dans le policier de salon, à la Agatha Christie) pour mon plus grand plaisir, car il s’agit d’un genre que j’apprécie beaucoup (le polar en général). On se laisse très facilement berner par la plume volontairement désuète de Faith Martin, et on se délecte de ces romans saupoudrés d’humour (et de flegme) anglais.

Parmi les quatre manquants, on trouve des suites et/ou fin de séries, ainsi qu’un roman australien à cheval entre le thriller et la LG que j’ai beaucoup aimé.
12 romans en tout, donc, pour un total de 5,8M de signes.
What’s next?
L’avenir est forcément incertain, un peu plus que ces deux dernières années, un peu moins que les précédentes. J’ai d’ores et déjà 4 romans signés pour 2022/3, plus deux engagements oraux. De quoi avancer à peu près sereinement ces prochains mois (avant d’entrer en mode panique), prospecter un peu et pourquoi pas écrire enfin ? Curieux de voir ce que l’avenir me réserve, en tout cas.
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